Engagement des fans : des revenus pour la filière et les artistes

Dans un paysage musical bouleversé par le streaming et les changements d’habitudes de consommation musicale, une figure cristallise toutes les attentions : le superfan ! Capable d’écouter son artiste favori dix à quinze fois plus que la moyenne, premier sur l’achat de billets ou de t-shirts, très vocal sur les réseaux sociaux et au sein de sa communauté, ce fan ultra-engagé incarne un espoir pour une industrie en quête de croissance. Réunis dans le cadre d’une table ronde à l’occasion de l’édition 2025 du festival PIX, Didier Borg, Maxence Bazin et Robin Champseix nous ont livré leur vision d’un phénomène désormais incontournable.

Superfan : un petit pourcentage qui peut tout changer

La définition du superfan varie selon les acteurs, mais certains marqueurs font consensus. Base For Music a développé un système sophistiqué de classification des fans par niveau d’engagement, s’appuyant sur diverses métriques et typologies de contenus consultés. Ce système de scoring permet d’identifier les fans les plus engagés, parfois récompensés pour leur fidélité par des exclusivités, comme l’accès anticipé à de nouveaux morceaux.

Pour Billy, les comportements d’achat constituent un indicateur clé suivi de près. Robin Champseix souligne que les superfans sont les plus rapides à consommer, particulièrement dans les 72 premières heures suivant une annonce (billets, merchandising, phono). Par ailleurs, 22% des consommateurs achètent plus que de simples billets autour des événements, ce qui génère approximativement 20% de revenus supplémentaires pour les labels et les producteurs.

Maxence Bazin, CEO de Base for Music

L’un des principaux défis reste toutefois l’accès aux données pertinentes. Comme l’explique Maxence Bazin : « La logique en marketing, c’est qu’on touche des audiences sur les réseaux sociaux, on les redirige vers les plateformes et après c’est une boîte noire. » Cette opacité complique considérablement l’évaluation de l’efficacité des campagnes et l’identification précise des superfans. C’est d’ailleurs pour cette raison que Base For Music a développé des partenariats avec Spotify, Deezer et Apple Music dans le but d’obtenir des informations plus détaillées sur cette typologie d’auditeurs.

Quand la passion devient un moteur de création de valeur

La transformation d’un fan ordinaire en superfan prêt à s’investir pleinement dans sa passion représente un potentiel économique considérable pour les différents acteurs de l’industrie. Le modèle sud-coréen, et plus spécifiquement le groupe BTS, en constitue sans doute l’illustration la plus évidente, comme le rappelle Didier Borg. Construit comme un véritable écosystème, BTS s’appuie sur son « Army », qui en plus d’être une communauté de fans extrêmement enthousiastes, est également un levier économique majeur. Cette stratégie se traduit par la vente de collections d’accessoires pour les concerts, le développement de boutiques en ligne et physiques, mais aussi la création d’expériences exclusives.

Comme le souligne Didier Borg, l’environnement économique de l’industrie musical a historiquement évolué en cherchant à satisfaire toujours plus ses fans les plus engagés en leur proposant des concerts, des magazines, des produits dérivés et… de l’expérience. Une expérience aujourd’hui centrale dans la stratégie de création de valeur.

La pandémie de COVID-19 a d’ailleurs accéléré l’innovation dans ce domaine, poussant les acteurs à trouver des solutions pour continuer à interagir avec les fans à distance, et à monétiser le temps et l’attention autour des artistes. Le groupe BTS est notamment parvenu à vendre plus de 750 000 places pour un événement diffusé en direct sur internet !

De son côté, Robin Champseix explique l’approche de Billy : proposer des bundles intégrant du merchandising dans le parcours d’achat des billets. Ce système augmente non seulement le prix du panier moyen, mais il permet aussi de mieux comprendre les attentes de la fanbase grâce aux données collectées.

Du like à la loyauté : bâtir une relation qui dure

Concrètement, comment faire grandir et entretenir cette précieuse catégorie de fans ? Base For Music a développé des outils pour suivre l’engagement et transformer des auditeurs ordinaires en auditeurs « extra-ordinaires ». Ces solutions permettent aux artistes de développer et surveiller leur audience. Cela passe par des fonctionnalités conçues pour faciliter la transformation de l’auditeur à travers la mise en place de smartlinks, dont le rôle est de rediriger automatiquement l’utilisateur en fonction de certains critères contextuels. Une méthode particulièrement efficace, puisque le taux de conversion peut atteindre 70 à 80 % selon la qualité de l’activation, comme nous confie Maxence Bazin.

Robin Champseix, CEO de Billy

De son côté, Billy propose un outil de collaboration destiné aux producteurs, labels et partenaires commerciaux, avec partage de données relatives aux acheteurs et participants (avec leur consentement). Plutôt que d’opter pour un CRM classique, Robin Champseix et son équipe ont fait le choix d’utiliser un système de tagging permettant de définir précisément les éléments d’identification des superfans, comme un seuil de dépense de 80 € par commande, par exemple.

Projet initié par Didier Borg pendant la pandémie, Hey Live visait quant à lui à « remettre le live au cœur de la relation et redonner le pouvoir aux artistes par rapport aux réseaux sociaux » en proposant des outils d’interaction et de création d’événements. Inspiré de la plateforme sud-coréenne Weverse, qui a placé la gamification au cœur de la relation fan/artiste, avec des points à gagner pour acheter des produits dérivés notamment, ce service avait pour objectif de créer un écosystème complet autour de l’artiste.

Un marché verrouillé et de fortes résistances

Hey Live n’a pas survécu, faute de soutien de l’industrie. L’artiste est loin, les contrats sont nombreux, les données sont verrouillées, déplore Didier Borg. Dans cette industrie en millefeuille, l’innovation doit souvent composer avec les intérêts de chacun. Dans ce contexte, le soutien des majors apparaît comme un facteur déterminant de réussite. Comme l’explique Didier Borg : « Sans l’accord du marché, il n’y a rien. » Il prend l’exemple de Spotify qui a dû attendre que le marché donne son accord, en contrepartie de conditions dictés par les majors.

Didier Borg, general manager de narae
Maxence Bazin confirme cette réalité : « Quand on arrive sur de grosses structures, comme Universal ou Sony, la protection de la donnée va prendre le dessus par rapport à l’usage. » Face à cette situation, Base For Music a dû adapter sa stratégie en proposant sa technologie et son interface en marque blanche. Les grandes structures restent ainsi propriétaires de leurs données.

Robin Champseix raconte comment Billy a été contraint de pivoter à deux reprises : d’abord en transformant sa solution en marque blanche, intégrée aux parcours de vente, puis en simplifiant les parcours pour convaincre les majors. Ce n’est qu’après avoir obtenu le soutien des trois grandes majors (Universal, Sony et Warner) que Billy a pu enfin imposer sa solution aux producteurs. Un processus qui a toutefois nécessité au moins 15 mois d’âpres discussions !

De nombreuses opportunités, même pour les artistes émergents

Malgré les nombreux verrous à faire sauter, le marché des superfans offre des opportunités considérables. Mais contrairement aux idées reçues, ces modèles ne sont pas forcément réservés aux plus grands noms de l’industrie. Une partie importante des services de Base For Music concerne en effet des artistes émergents. Certains genres musicaux, comme le jazz, présentent toutefois certaines particularités. Selon Maxence Bazin, la difficulté est d’atteindre les bonnes personnes, qui représentent des audiences très spécifiques. Mais, dans autre côté, ce sont « des profils qui réagissent bien et génèrent beaucoup d’engagement ».

Dans un marché en recherche constante de création de valeur, les stratégies de monétisation des superfans donnent naissance à divers projets. Par exemple, le leader Spotify envisage un plan Superfan, Universal Music Group est en recherche de spécialistes du domaine, et Warner Music développe une application dédiée. Ces différentes initiatives témoignent d’un intérêt croissant pour le sujet, même si rien ne semble encore clairement se dégager en matière de modèle dominant.

Difficile de le nier : le superfan n’est plus un bonus, c’est un véritable pilier. Dans une industrie en mutation, la valeur se construit désormais davantage sur la qualité de la relation, plus que sur la quantité des écoutes. Identifier, nourrir et engager ces fans ultra-investis, c’est miser sur un levier de croissance durable !

Le festival PIX réunit l'écosystème des ICC

Didier Borg, Maxence Bazin et Robin Champseix étaient invités en avril 2025 dans le cadre du festival PIX organisé par la Plaine Images. PIX est né de la volonté de faire briller les acteurs des industries cultuelles et créatives du territoire des Hauts-de-France. 

À la fois temps de rencontres entre acteurs de la filière des industries créatives, PIX est aussi une vitrine d’inspiration pour les professionnels « d’ailleurs » voulant s’emparer des bonnes idées, des méthodos, de la créativité et des innovations produites au sein des ICC. 

Retrouvez plus d’informations sur le site du festival.

Le replay intégral de notre conférence est disponible ici :

accueil