Minimaliste, social, intime : Samuel, une success-story à la française

 

C’est l’une des étrangetés de notre époque : une série en noir et blanc, aux traits minimalistes, est devenue un phénomène totalisant plus de 50 millions de vues sur Arte.tv et les réseaux sociaux. Création d’Émilie Tronche, Samuel incarne parfaitement cet apparent paradoxe où l’intimité tutoie l’universalité.

Invité dans le cadre de la quatrième édition du festival PIX, Damien Megherbi, cofondateur de la maison de production Les Valseurs, évoque la découverte de ce qui deviendra une success-story.

« Je suis tombé sur le premier épisode fait seul par Émilie, avec des layouts plus simples, pas de montage définitif. (…) Mais tout était déjà là en termes de direction artistique, de ton. Et les premières lignes narratives de la série. »

Cette première rencontre, via les réseaux sociaux pendant l’un des confinements du COVID, marquera le début d’une aventure créative singulière.

La genèse elle-même de Samuel reflète la justesse d’une création née dans un contexte de relâche, où l’autrice a pu travailler sans contrainte, pour le plaisir, après avoir mené à bien un court-métrage d’animation adapté d’un poème de Verlaine. Il a fallu quelques jours, mais surtout quelques lignes tracées sur une tablette graphique, pour que la créatrice de talent donne naissance à ce jeune garçon aux traits minimalistes, amoureux de la grande Julie.

L'authenticité comme marque de fabrique

Si Samuel est parvenu à conquérir son public, c’est avant tout grâce à sa sincérité désarmante. Cette série d’animation de 21 épisodes, déclinée en deux formats (l’un destiné à la chaîne Arte, l’autre à TikTok), est entièrement réalisée, écrite et doublée par Émilie Tronche, talent pluridisciplinaire maniant avec autant d’aisance l’écriture, le dessin, le chant et la danse.

« Ce qui fonctionne sur les réseaux sociaux, c’est l’authenticité, » affirme le producteur. En accompagnant le projet, il a cherché à atteindre la parfaite articulation entre la forme et le fond de l’œuvre. Un pari qui s’est révélé gagnant.

Élément central de la série, la musique illustre également cette démarche. À raison d’un à deux titres connus par épisode, la bande sonore occupe une place prépondérante dans le budget de la série (250 000 € sur un budget total de 1,3 million d’euros). Un investissement indispensable pour s’offrir des standards comme le The winner takes it all d’Abba. Sur ce plan, une grande liberté a été accordée à Émilie Tronche dont le processus créatif est intimement lié à la musique : « L’articulation entre le son, l’image et le montage est au cœur de sa création », nous confie le producteur.

Un écosystème français propice à l'émergence des talents

Au cours de notre échange, Jérôme Allard, Chef du Pôle Numérique chez Pictanovo, souligne l’importance de l’écosystème français dans l’émergence de tels projets. Avec ses deux fonds de soutien, l’un dédié à la diffusion sur Arte, l’autre aux réseaux sociaux, Pictanovo a joué un rôle central dans le développement du projet. « Il n’y a pas eu de résistance dans le comité, car Émilie a convaincu facilement », se souvient Jérôme Allard. Création atypique dans le paysage audiovisuel actuel, Samuel n’aurait sans doute jamais pu voir le jour sans ce soutien public, ce qui démontre une nouvelle fois la pertinence des dispositifs français d’aide à la création.

Le partenariat avec Arte s’est également révélé déterminant. La chaîne franco-allemande a en effet déployé une stratégie digitale novatrice, adaptant le contenu et la diffusion à chaque plateforme. Sur arte.tv, YouTube, X (ex-Twitter), Instagram, Facebook et Snapchat, les épisodes adoptent le format 16/9 pour une durée comprise entre trois et cinq minutes. Sur TikTok, la narration est simplifiée, les épisodes ne dépassent pas une minute et sont indépendants les uns des autres.

L'évolution des modèles de création à l'ère du numérique

 
 
 
 
 
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Samuel illustre par ailleurs les mutations à l’œuvre dans l’industrie de l’animation. Nos invités observent qu’un nombre croissant d’outils permettent aujourd’hui aux créateurs de s’exprimer, sans devoir passer par des temps longs d’écriture. Cette démocratisation des moyens de production favorise l’émergence de voix singulières, comme celle d’Émilie Tronche. Depuis Samuel, d’autres talents du web, pour beaucoup des profils pluridisciplinaires, ont attiré l’attention d’un public à la recherche de cette « justesse » difficile à trouver ailleurs.

Quant au choix de porter l’œuvre sur les réseaux sociaux, ce fut rapidement une évidence, comme le précise Damien Megherbi, bien que proposer un contenu aussi différent sur TikTok n’allait pas forcément de soi à l’époque.

Les chiffres attestent du succès de cette approche. Après seulement un mois de diffusion, Samuel cumulait déjà 18 millions de vues en France, toutes plateformes confondues : 8 millions sur Instagram, 7 millions sur TikTok, 3 millions sur arte.tv et YouTube, et 300 000 sur les autres réseaux sociaux.

Le défi d’une expansion sans dilution

Le succès croissant de Samuel pose désormais la question de l’expansion de son univers. Les produits dérivés illustrent cette tension créative. Nos invités reconnaissent qu’une série à très petit budget comme celle-ci requiert l’invention de nouveaux modèles économiques. Consciente de cet enjeu, l’équipe insiste sur la nécessité de préserver la sincérité de l’œuvre, tout en maintenant une exigence de qualité. L’approche adoptée ? Chaque produit dérivé se veut le prolongement de l’expérience, guidé par une logique de création continue et de fidélité à l’univers de la série.

Cette volonté s’est concrétisée par plusieurs initiatives : une adaptation graphique publiée chez Casterman, qui vise à toucher un nouveau public, ainsi qu’un second roman graphique en cours d’écriture, centré sur l’un des personnages secondaires, toujours écrit par Émilie. Les Valseurs ont également ouvert un shop en ligne et une boutique éphémère dans le Marais proposant affiches, tasses, tee-shirts, magnets, casquettes et puzzles, accompagnée d’une exposition de dessins inédits réalisés par Émilie Tronche. Et, bonne nouvelle pour celles et ceux qui se poseraient la question, une saison 2 de Samuel est en préparation !

Une expansion internationale réussie

Samuel incarnerait-il une petite révolution dans le paysage audiovisuel français ? Damien Megherbi reste prudent : « Le secteur est un peu en crise, il faut trouver un modèle pour pérenniser un studio, mais il y aura toujours une envie. » La crise que traverse l’industrie pourrait paradoxalement favoriser les initiatives comme celle d’Émilie Tronche, où, dans le secteur de l’animation, il est possible d’occuper plusieurs postes et de produire avec des budgets restreints.

Loin d’être un obstacle à son internationalisation, la singularité constitue au contraire le principal atout de la série. Cette capacité de tutoyer l’universel représente peut-être l’avenir d’un secteur audiovisuel français qui rayonne dans le monde entier, non par l’imitation des standards internationaux, mais par l’affirmation d’une identité singulière.

A ce titre, l’Espagne illustre à merveille cette internationalisation réussie. Le pays a très bien réagi à Samuel, confie Damien Megherbi, allant jusqu’à proposer un cofinancement destiné à développer des versions espagnole et catalane. Ces adaptations, auxquelles Émilie Tronche a elle-même participé, ont inspiré d’autres territoires. 

Le projet a été présenté au Cartoon Forum, et a été remarqué par les représentants de deux chaînes : la RTVE – Radiotelevisión Española,  et 3Cat, chaîne principale de Catalogne. Samuel est déjà diffusé sur les chaînes en question, adapté aux références locales :

En effet, des discussions sont en cours avec le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Asie, preuve qu’une création intimiste née presque par accident, peut trouver un écho bien au-delà de l’hexagone ! 

Le festival PIX réunit l'écosystème des ICC

Damien Megherbi était invité en avril 2025 dans le cadre du festival PIX organisé par la Plaine Images. PIX est né de la volonté de faire briller les acteurs des industries cultuelles et créatives du territoire des Hauts-de-France. 

À la fois temps de rencontres entre acteurs de la filière des industries créatives, PIX est aussi une vitrine d’inspiration pour les professionnels « d’ailleurs » voulant s’emparer des bonnes idées, des méthodos, de la créativité et des innovations produites au sein des ICC. 

Retrouvez plus d’informations sur le site du festival.

Le replay intégral de notre conférence, bientôt disponible sur notre chaîne YouTube.

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